La peur…

… tout simplement la peur.

Celle qui réveille en pleine nuit. Celle qui ne disparaît pas avec le mauvais sommeil de l’aube terne.

La peur, tous les jours la peur. Je vais vieillir. Je vais vieillir et peut être qu’un jour sans m’en rendre compte je céderais. Je céderais devant les mots qui me manqueront, devant ces objets du quotidien qui me paraîtront de plus en plus hostile, devant ces gens qui iront trop vite pour moi.

Je céderais sans m’en rendre compte du terrain. Je ne comprendrais pas les yeux de mes proches, le mouvement trop vite caché du coin de la bouche qui hésite à trembler.

Je serais le centre de mon monde. Et mon monde rétrécira jour après jour.

Je rendrais mes proches tristes, je deviendrais un poids pour eux.

La peur, tout simplement la peur… certaines nuits… au détour d’une conversation joyeuse… la peur.

15 ans… c’est si peu et si long… si peu pour vivre, si long pour avoir peur.

Il me reste 15 ans avant de savoir si c’est génétique ou non.

15 ans… la peur…

Dans le bureau de ma mère il y a …

un meuble, avec des tiroirs.

Dans le deuxième tiroir en partant du bas il y a une enveloppe craft au format A4. Un peu usée sur les bords mais encore craquante.

Dans cette enveloppe on y trouve un passeport qui n’est plus valable depuis longtemps, toutes les pages sauf 2 sont pleines. Le dernier visa est un visa pour la Malaisie.

Dans cette enveloppe on y trouve un portefeuille en cuir marron de marque Cartier. Des cartes de visites avec une photo au nom de son propriétaire. Quelques cartes de visite récoltées au gré des gens rencontrés. Deux cartes de payement, mastercard et visa, quelques cartes militaires aussi. On y trouve aussi des tickets bancaires, effacés depuis longtemps.

Dans cette enveloppe, on y trouve aussi une montre de marque Citizen, dont le verre est cassé. Une montre en or peut être. Une montre à aiguille. Une des aiguilles n’est plus fixée, impossible de savoir à quelle heure la montre s’est arrêtée.

Dans cette enveloppe on y trouve une alliance, une alliance en mauvais or, une alliance fait de métal tressé, qui vient d’Afrique. Une alliance déformée.

Dans cette enveloppe, on y trouve des lettres envoyés par des amis, des cartes de correspondance signées par des généraux, des cartes signées par des enfants, tous ces bouts de papiers n’ont qu’un seul point commun, ils portent tous ces mêmes mots: toutes mes condoléances.

Dans cette enveloppe se trouve un registre de condoléances.

Cette enveloppe je l’ai ouverte bien des fois. Profitant que ma mère soit au travail, l’ouvrant comme on ouvre un coffre secret, délicatement, avec attention, j’ai ouvert le portefeuille, lu et relus les cartes de visite, appris par coeur les différents pays dont les visas ornent les pages du passeport. J’ai lu les cartes, j’ai lu les noms de ceux qui avaient signé, à la recherche d’un souvenir. J’ai regardé la montre, je l’ai soupesée, me disant qu’il fallait être un homme fort pour porter ce genre de montre. J’ai pris l’alliance en main, j’en ai appris les formes, gardant en mémoire pour toujours cette image et refusant de me représenter comment le doigt qui l’avait porté avait souffert pour que l’alliance soit déformée à ce point.

Cette enveloppe je l’ai remise à chaque fois dans ce tiroir dans la même position que celle ou je l’avais trouvé. Pour ne pas que ma mère découvre ce que j’avais fait.

Et à chaque fois, j’étais heureuse de l’avoir ouverte, heureuse d’avoir passé quelques instants avec mon père.

J’ai 33 ans maintenant, et cette enveloppe reste l’un des souvenirs les plus fort que je n’aurais jamais de mon père.

Un jour je la mettrais dans un tiroir de mon bureau.

P.S: J’ai écrit ce texte il y a 4 ans maintenant. Depuis l’enveloppe est toujours dans le bureau de ma mère, mais le bureau a déménagé… et ma mère aussi. Mais pas au même endroit.

Derrière la paroi de verre…

Derrière la paroi de verre…

… mes enfants. Ils sont la je les vois, ils me voient. Entre nous cette paroi de verre.

Nos mains qui se cherchent, nos regards brulent, nos regards plein de peur, de manque déjà pressentis. L’inéluctable est là. Eux et moi, nous en sommes déjà conscient, cette douleur au fond de soi, le coeur serré, le regard déjà perdu de douleur, les regarder encore et encore, savoir que c’est la fin, que plus jamais nous ne serons réunis. Elle est trop petite pour comprendre mais ses mains serrées et ses larmes de l’autre côté, me prouvent qu’elle souffre déjà. Et j’aimerais qu’ils oublient même qu’ils m’on connu pour que mon absence ne leur soit pas douloureuse. Je voudrais, je supplie l’insuppliable, je demande la paix pour eux à défaut de pour moi. Déjà ils s’éloignent, déjà le mur de verre se fait plus épais. Bientôt il n’y aura plus pour eux et pour moi que la solitude. Ils seront seuls dans ce monde et leur solitude, leur douleur m’est insupportable. Je ne les vois plus. Je me roule en boule et je pleure. Je les sais qui pleurent aussi.

La désespérance, la peur, l’injustice et la désespérance encore.

Je vais me réveiller, je le sais, mais cette sensation perdura quelques heures, quelques jours, quelques mois.

En attendant je pleure dans mon sommeil.

J’ai envie de vous parler de mon mon afrique à moi…

Telle que je l’ai vécu, telle qu’elle est vivante encore et encore dans ma mémoire et dans mes veines.

Je me souviens avoir cru mourir sur ce tarmac d’aéroport, avoir senti l’air brulant glisser difficilement dans ma gorge, m’être demandé comment j’allais pour vivre et travailler ici si pendant 2 mois il fallait que je pense à respirer, tant l’acte m’était difficile.

Je me souviens avoir traverser ce tarmac à pied, sous la lune. Et dire que l’air y était encore trop chaud pour moi, en pleine nuit.

Je me souviens de cet aéroport désué et si simple. Je me souviens m’être dit que le coté provincial de cet aéroport me plaisait. Je me souviens avoir vu les militaires en arme, avoir senti les sentiments à fleur de peau de chacun. L’air empli de tension, de sentiment, de violence, de langueur aussi et d’indolence.

Je me suis sentie chez moi.

Comme l’impression de revenir chez moi.

Nous avons pris nos bagages, j’ai revécu mon enfance sur un autre continent, ou les passeports ne valent que si dedans, un billet négligemment déposé, trouve preneur d’un geste leste. J’ai souris à ce souvenir.

Nous sommes montés dans ce pick up. Pour rien au monde je n’aurais cédé ma place derrière. La cabine n’est pas pour moi. Debout derrière la cabine, je me tiens droite, tenant la barre de maintient. Je respire toujours aussi mal, mais la sensation diminue de minute en minute. La piste est bonne dans la capitale et le pick up prend vite de la vitesse.

La brise souffle, l’air chaud s’engouffre dans la gorge. Un moment d’infini, un de ces moments qu’on garde en tête toute sa vie, est en train de se passer. Ne rien laisser passer, profiter de chaque seconde. Le Tchad est en train de me rentrer dans les veines.

Malheureusement dans les voyages en Pick Up, il y a toujours une partie désagréable… ça cesse… on doit bien arriver un jour.

Il est tard, il faut manger. J’apprendrais au Tchad, qu’il y a 2 façons de manger, l’Africaine et l’autre, celle des blancs. Pour ce soir ce sera l’autre façon de manger, repas sans imagination, cuisine Française sans en avoir les ingrédients… Pas grave, trop de choses à découvrir, trop de nouvelles personnes, trop de nouvelles façons de voir, concevoir les choses. Je découvre le monde des expats, pas celui que je connaissais. Je connaissais celui des militaires, des gradés de haut rang, des soirées de l’ambassadeur, des architectes exilés à l’autre bout du monde pour le projet de toute une vie, un nouvel aéroport par exemple, des gens qui ont évolué selon leurs compétences. Ca ne rend pas les gens humains certes…

Je découvre des expats gagne petits pour la plupart des gens d’associations humanitaires Françaises, un monde en vase clos, des gens quelques peu aigris. Ma description n’est valable que pour les Français, les Belges s’en sortent bien mieux même s’ils passent pour des racistes aux yeux des français.

Je découvre le microcosme des Associations humanitaires. Et ça vaut son pesant de cacahouette.

Cette première nuit m’apprend qu’au Tchad on se réveille avec la température, quand elle commence à monter, que dormir devient difficile, on se lève.

J’apprendrais aussi assez vite que nous n’avons pas tous la même résistance à la chaleur, je me réveillerais toujours plus tard que mon ami.

Nous découvrons N’Djaména. Nous sommes dans une capitale, qui n’en a pas l’air.

Les routes goudronnées sont rares, 3 ou 4 grands axes. Le reste c’est de la piste de terre rouge tassée. Des bâtiments bas courent le long de ces grandes avenues trés larges. Peu de plantations, un grand rond point, son allée avec des arcades… et une ville composée de piste de terre évoluant d’angle droit en angle droit et qui sétalent au fur et à mesure que la population augmente.

Une station service au centre de la ville. J’apprendrais que c’est la seule station du pays. Je découvrirais par la suite comment les Tchadiens se procurent de l’essence.

Mon ami et moi nous rendons à la poste. Achetons une carte de téléphone. La plus grosse. J’appèle ma mère, lui raconte notre arrivée, lui raconte la chaleur, la rassure et lui affirme que je fais attention et que je prends soin de moi.

Mon ami fait de même, rassure aussi ses parents, ce sera sans doute le dernier mensonge qu’il leur fera.

La carte téléphonique est finit.

Nous nous payons le luxe d’acheter un pain au chocolat chacun dans la seule boulangerie du pays. Un bout de France à quelques milliers de Kms de celle ci. D’ailleurs dans ce pays, le pain couramment consommé c’est … la baguette mais vendu sur le marché.

Nous consacrons l’aprés midi a nous promener dans la partie de la ville qui évolue sans cesse, toujours des nouveaux patés de maison, mais en guise de maison des montages de terre, de boue, de tôles, de tuile, de pierre, de brique. Des enchevêtrements variés.

Nous prendrons notre première boisson dans un bouiboui composé de quelques tables et chaises, d’un frigidaire et donc d’électricité. Et comble du luxe, d’un mixeur. Je découvre les jus de mangue, je ne veux surtout pas me demander d’où vient l’eau, d’où viennent les glaçons. C’est bon, c’est ce qui compte. Et c’est servi dans une grande choppe à bière. Mon ami, prendra lui un coca, en suivant les recommandations sanitaires habituelles.

La suite… plus tard.