Le Créateur

J’ai mal, chaque dot de mon corps est douloureux, chaque nerf reçoit multitude de stimuli, chaque pore de ma peau vibre. Mes yeux fixes depuis trop longtemps ne savent plus cligner, je suis entrée dans l’œuvre et depuis… Je vibre, j’ai mal.

Il m’a déposée avec lui sur le bord d’une ligne droite coupant son espace en deux. Me prenant par la main Il m’a menée le long de ses courbes agressives et lestes se coupant et recoupant. Avec ses rouges qui me transpercent, ses mélanges carmins aux couleurs de mon sang, ses convexes et concaves qui remontent à mon cœur, qui l’emballent et m’essoufflent, Il m’a laissée pantelante dans un coin. Le silence régnant autour de moi, effrayant et glacial aurait pu être un sanctuaire… mais au dessus de moi le pourpre se teinte de l’humeur du créateur et durant un moment j’espère qu’Il ne peut pas me haïr à ce point et que ce n’est qu’une passade de son humeur. Mais je me rends compte que je ne sais plus ce que veux dire espérer, que ce concept est pour moi une bulle vide.

Il m’a prise par la main avec ses bleus, m’a montré qu’il pouvait aussi être doux, il a apaisé mes blessures, a calmé mon cœur, les bleus se sont mélangés dans mon regard, baignant mon cristallin d’une illusoire paix. Il m’a bercée dans ses ondulations longues et fugaces, rythmant notre relation soudain maternelle. De loin en loin la fugitive vision de ses rappels rubiconds me mettait mal à l’aise, mais il a su alléger mon cœur au bord d’un lac bleu nuit. Mes yeux se perdant aux limites de Son monde, j’observais ces formes informes, cet indescriptible amas de bleus, cachant sous sa couverture d’orage trop de nuances pour que je puisse les appréhender rendant mouvante cette mer de la tranquillité.

Il m’a surprise d’une violente lame jaune sortant de son océan de nuit, me bousculant et mettant à mal mon précaire équilibre, et mon calme retrouvé de peu. Il m’a repris ce qu’il venait de me donner d’une légère tension du poignet, m’a poussée au bord d’un soleil brûlant qui ne me réchauffait pas. Ma peau pourtant souffrait et me semblait craquelée de chaleur. Il m’a amenée si haut que mon cœur a cédé à la pression. Un soleil froid, quelle incongruité. Il m’envahit. J’aimerais garder au cœur de ma prunelle un souvenir de bleu, mais cet ocre ravageur ne me laisse aucun espoir. Si le ciel doit avoir une fin alors je la connais, je l’ai touchée du bout des doigts, avant de retomber.

Jetée à terre par tant de violence, je me suis refermée sur moi-même, essayant de laisser la douleur me traverser sans la ressentir, atteindre ce point de lâcher prise qui me protègera de mes propres sensations, de mes propres tentations.

Trop tard, il me connait et j’ai mordu a son hameçon, entrainée dans le sillon de son tourbillon de vert, je ne peux que suivre ce fil qui me lacère les chairs. Je me rapproche de son soleil y laisse ma peau, retombe dans son lac de sang où se dilue le mien, mes chairs détaillées se perdent dans cet étrange mélange et mon squelette blanchi connait enfin la paix.

Suis je née, suis je morte, seul Lui peut le dire, le créateur de toute chose, celui qui tire les ficelles. Je repose là au sol. Immobile et vivante, immobile et debout, immobile et sans vie. Je repose là devant son œuvre et me demande si ma vie sera un jour la même… mais la même que quoi au fait ?

Ecrit en 2009 pour un concours dont je n’ai même jamais su le résultat.

La peur…

… tout simplement la peur.

Celle qui réveille en pleine nuit. Celle qui ne disparaît pas avec le mauvais sommeil de l’aube terne.

La peur, tous les jours la peur. Je vais vieillir. Je vais vieillir et peut être qu’un jour sans m’en rendre compte je céderais. Je céderais devant les mots qui me manqueront, devant ces objets du quotidien qui me paraîtront de plus en plus hostile, devant ces gens qui iront trop vite pour moi.

Je céderais sans m’en rendre compte du terrain. Je ne comprendrais pas les yeux de mes proches, le mouvement trop vite caché du coin de la bouche qui hésite à trembler.

Je serais le centre de mon monde. Et mon monde rétrécira jour après jour.

Je rendrais mes proches tristes, je deviendrais un poids pour eux.

La peur, tout simplement la peur… certaines nuits… au détour d’une conversation joyeuse… la peur.

15 ans… c’est si peu et si long… si peu pour vivre, si long pour avoir peur.

Il me reste 15 ans avant de savoir si c’est génétique ou non.

15 ans… la peur…

Avoir un enfant c’est ….

Faire un enfant c’est tout d’abord avoir confiance en soi.

Penser qu’on pourra être une bonne mère, qu’on saura assumer cet enfant, qu’on sera assez forte pour deux. Savoir qu’on pourra voir notre corps changer et qu’on saura ne pas s’en inquiéter. C’est assumer des peurs qui ne manqueront pas de nous faire du mal. C’est devenir la proie de nos pires cauchemars. C’est prendre le risque de tout perdre.

Avoir confiance dans le père, celui qui nous soutiendra et que nous soutiendrons aussi, celui qui sera là malgré les aléas de la vie, celui qui fera vivre notre mémoire si jamais nous n’étions plus la…

Avoir confiance dans la vie, penser que demain ne sera pas le big bang, penser que demain ne sera pas pire que maintenant, croire que le futur permettra à notre enfant de grandir, se développer et vivre heureux.

Et pour vous avoir un enfant c’est quoi ?

Dans le bureau de ma mère il y a …

un meuble, avec des tiroirs.

Dans le deuxième tiroir en partant du bas il y a une enveloppe craft au format A4. Un peu usée sur les bords mais encore craquante.

Dans cette enveloppe on y trouve un passeport qui n’est plus valable depuis longtemps, toutes les pages sauf 2 sont pleines. Le dernier visa est un visa pour la Malaisie.

Dans cette enveloppe on y trouve un portefeuille en cuir marron de marque Cartier. Des cartes de visites avec une photo au nom de son propriétaire. Quelques cartes de visite récoltées au gré des gens rencontrés. Deux cartes de payement, mastercard et visa, quelques cartes militaires aussi. On y trouve aussi des tickets bancaires, effacés depuis longtemps.

Dans cette enveloppe, on y trouve aussi une montre de marque Citizen, dont le verre est cassé. Une montre en or peut être. Une montre à aiguille. Une des aiguilles n’est plus fixée, impossible de savoir à quelle heure la montre s’est arrêtée.

Dans cette enveloppe on y trouve une alliance, une alliance en mauvais or, une alliance fait de métal tressé, qui vient d’Afrique. Une alliance déformée.

Dans cette enveloppe, on y trouve des lettres envoyés par des amis, des cartes de correspondance signées par des généraux, des cartes signées par des enfants, tous ces bouts de papiers n’ont qu’un seul point commun, ils portent tous ces mêmes mots: toutes mes condoléances.

Dans cette enveloppe se trouve un registre de condoléances.

Cette enveloppe je l’ai ouverte bien des fois. Profitant que ma mère soit au travail, l’ouvrant comme on ouvre un coffre secret, délicatement, avec attention, j’ai ouvert le portefeuille, lu et relus les cartes de visite, appris par coeur les différents pays dont les visas ornent les pages du passeport. J’ai lu les cartes, j’ai lu les noms de ceux qui avaient signé, à la recherche d’un souvenir. J’ai regardé la montre, je l’ai soupesée, me disant qu’il fallait être un homme fort pour porter ce genre de montre. J’ai pris l’alliance en main, j’en ai appris les formes, gardant en mémoire pour toujours cette image et refusant de me représenter comment le doigt qui l’avait porté avait souffert pour que l’alliance soit déformée à ce point.

Cette enveloppe je l’ai remise à chaque fois dans ce tiroir dans la même position que celle ou je l’avais trouvé. Pour ne pas que ma mère découvre ce que j’avais fait.

Et à chaque fois, j’étais heureuse de l’avoir ouverte, heureuse d’avoir passé quelques instants avec mon père.

J’ai 33 ans maintenant, et cette enveloppe reste l’un des souvenirs les plus fort que je n’aurais jamais de mon père.

Un jour je la mettrais dans un tiroir de mon bureau.

P.S: J’ai écrit ce texte il y a 4 ans maintenant. Depuis l’enveloppe est toujours dans le bureau de ma mère, mais le bureau a déménagé… et ma mère aussi. Mais pas au même endroit.

Derrière la paroi de verre…

Derrière la paroi de verre…

… mes enfants. Ils sont la je les vois, ils me voient. Entre nous cette paroi de verre.

Nos mains qui se cherchent, nos regards brulent, nos regards plein de peur, de manque déjà pressentis. L’inéluctable est là. Eux et moi, nous en sommes déjà conscient, cette douleur au fond de soi, le coeur serré, le regard déjà perdu de douleur, les regarder encore et encore, savoir que c’est la fin, que plus jamais nous ne serons réunis. Elle est trop petite pour comprendre mais ses mains serrées et ses larmes de l’autre côté, me prouvent qu’elle souffre déjà. Et j’aimerais qu’ils oublient même qu’ils m’on connu pour que mon absence ne leur soit pas douloureuse. Je voudrais, je supplie l’insuppliable, je demande la paix pour eux à défaut de pour moi. Déjà ils s’éloignent, déjà le mur de verre se fait plus épais. Bientôt il n’y aura plus pour eux et pour moi que la solitude. Ils seront seuls dans ce monde et leur solitude, leur douleur m’est insupportable. Je ne les vois plus. Je me roule en boule et je pleure. Je les sais qui pleurent aussi.

La désespérance, la peur, l’injustice et la désespérance encore.

Je vais me réveiller, je le sais, mais cette sensation perdura quelques heures, quelques jours, quelques mois.

En attendant je pleure dans mon sommeil.